Un homme à la peau bronzée par nature était allongé sur le béton dur et froid d’un sous-sol. Il rêvait de pétales de roses – celles qui, rouges comme la Passion, font vibrer les amants…
- Alors, Hoppie ? On s’est endormi ?…
Les pétales se transformèrent en quelque chose de mouillé, comme quand il était petit et qu’il découvrait au réveil que maman allait le gronder si elle apprenait qu’il avait encore fait pipi au lit. Mais il n’eut pas le temps de se revoir à cinq ans. Une douleur aiguë au côté droit le percuta de plein fouet ; il eut l’horrible sensation que son cœur manqua un battement, que ses poumons ne reprendraient plus jamais leur souffle ; et il consentit à ouvrir les yeux sur son propre sang. La face agglutinée sur le béton rouge et humide, il était paralysé, incapable de focaliser son esprit sur la réalité glaciale et écœurante qui lui faisait face. Pendant une fraction de seconde, il se demanda : où sont passés les pétales ? Ils ne peuvent pas avoir disparu comme ça…
- Alors, comme ça, on fait dodo ?
La voix lui était vaguement familière. Grave, pure, méprisante et gelée, elle renvoyait toujours à l’image d’un être obscur.
- Désolé de t’avoir réveillé si brutalement. Mais je préfère quand tu es conscient.
À peine ces derniers mots furent-ils chuchotés à son oreille qu’il fut soulevé par les épaules et mis à genoux. Légèrement penché en avant, il était prêt à recevoir d’autres coups.
- Tu es vraiment mignon avec tes petits pansements.
Hope leva la tête.
- Tu ne dis rien ?
Il baissa les yeux vers le sol.
- Je vois. Pas un petit merci, ni même un sourire. Quelle ingratitude ! Mais bon, tant pis. Après tout…je ne te garde pas ici pour que tu causes.
Une main chaude et éclatante de propreté vint cajoler son visage endolori par les plaies. Il redressa la tête et décocha un regard qu’il voulait mortifiant à l’homme qui le dominait de sa hauteur et dont il ne connaissait que le nom : Raven. Un beau gosse aussi propre sur lui, et qui s’était présenté comme un client banal ? Hope aurait dû se méfier…
- Non, non…ne baisse pas la tête. Voilà, comme ça…j’aime bien voir tes yeux…
Raven plongea son regard dans celui de son prisonnier, dont le visage était encadré par de longs cheveux frisés et dégoulinants d’hémoglobine.
- Tu es à vomir ! Tu devrais te laver, et pas avec ça !
Raven eut un petit rire moqueur en indiquant la mare rougeâtre, en partie coagulée, qui s’étalait tout autour de son détenu. Comme réponse, Hope détourna les yeux vers le miroir, dont il ne saisissait toujours pas l’utilité dans un tel endroit. Après tout, une armoire remplie d’ustensiles comme des fouets ou des couteaux, un évier pour les laver après usage ou une table de travail pour déposer vêtements de rechange ou repas pour la journée, ça restait assez logique. Mais un miroir ?…
- Tu es vraiment excitant.
Coupé au milieu de sa réflexion, Hope dirigea ses yeux vers ceux de son tortionnaire.
- S’il vous plaît…
Le corps tremblant, les yeux suppliant, les lèvres gardant enfouie une requête inutile, Hope regarda Raven se déshabiller, le vit passer à côté de lui pour s’agenouiller derrière son dos, et le sentit se presser contre son corps déjà meurtri tant de fois – sans bouger, sans mot dire.
Hope n’observa pas les minutes s’écouler – que cela dura quelques secondes ou plusieurs heures, qu’importe ? D’ailleurs, était-il enfermé dans cette cave depuis des jours, des mois ou des années ? Faire le compte dans son esprit l’obligeait à se remémorer tout ce qu’il ne voulait qu’oublier. À quoi bon vouloir que cela durât moins longtemps que la veille ? Autant attendre passivement – le résultat serait le même.
Et pourtant…comment détacher son esprit de son corps quand une main ardente et délicate vient s’insinuer dans tous les recoins de sa peau ensanglantée ? Comment ignorer la pression exercée sur ses blessures languissantes de douleur lorsque des mouvements réguliers et détestables ne cessent de rappeler la présence d’un intrus immonde tout près, trop près de soi ? Comment se retenir de geindre pitoyablement quand l’orgasme brûlant d’autrui résonne à ses oreilles ?…
Après avoir reboutonné son jeans, Brian Raven se dirigea vers son miroir, abandonnant derrière lui sa victime essoufflée. D’un regard satisfait, il contemplait le corps légèrement amaigri de son latino tout en retirant sa chemise maculée de sang. Regrettait-il les fois où, mû par un instinct de survie absurde, Hope Angeles se débattait, criait, grognait comme une bête coincée dans un piège à loups ? Peut-être. En tout cas, il était sûr d’une chose : l’apathie dont sa victime faisait preuve ces derniers temps l’énervait au plus haut point.
- Tu me déçois beaucoup, Hope.
Brian soupira.
- Je fais le ménage partout (d’un geste circulaire, il embrassa la salle) ; et toi, tu t’obstines à pourrir dans ta crasse. Je fais la cuisine – même si je ne suis pas un très bon chef ; et toi, tu refuses d’avaler quoi que ce soit. Je vais finir par être obligé de te transfuser.
Brian boutonna la chemise propre qu’il venait d’enfiler puis se retourna.
- On croirait presque que tu es toujours sous les effets du succinylcholine que je ne t’ai plus administré depuis…un bon moment déjà.
De vagues souvenirs ankylosés par le temps refirent leur apparition et Hope tenta de les faire disparaître en changeant de position – en vain, car ses côtes cassées l’obligeaient à rester allongé sur sa couche exécrable. Il se remémora les premiers jours de sa captivité : Raven (c’est ainsi que son ravisseur s’était présenté – maintenant, il se demandait si c’était véritablement son nom) lui faisait des piqûres fréquentes ayant pour effet de le maintenir dans une immobilité artificielle contre laquelle il ne pouvait lutter – ses yeux refusaient de cligner – tous ses muscles étaient en stand-by – même ses poumons ne pouvaient recevoir l’oxygène qui lui était vital sans l’aide d’un respirateur. Ainsi Raven lui fermait-il et lui rouvrait-il les yeux de temps à autre ; le déplaçait-il comme s’il eût été sa poupée Barbie ; menaçait-il parfois de le « désintuber » sous le coup de la colère…
Brian se planta juste devant la tête de Hope.
- Tu es indolent, aujourd’hui, je trouve. Je crois que je vais jouer avec toi…
Il saisit la masse de cheveux bouclés d’une main ferme et releva la tête de son prisonnier avant de lui envoyer un coup de poing fracassant. Hope alla atterrir un mètre plus loin, puis se mit à gémir et à cracher de la salive rougeâtre sur le béton glacé, couvert de sang caillé.
Brian soupira.
Lorsque Hope reprit enfin connaissance, le gardien se lavait les mains. À vrai dire, il ne pouvait pas vérifier si les clapotis qui parvenaient à ses oreilles étaient bien dus à cette obsession pour la propreté, ayant la joue gauche collée contre le ciment et le regard tourné vers le mauvais côté de la salle : le mur opposé à celui du miroir – le lieu où il avait abandonné toute volonté.
Ce pan du mur était muni de deux paires de menottes – une pour les poignets, une pour les chevilles – qui pendaient au bout de chaînes noircies par les éclaboussures. C’est jusqu’à cet endroit-là que Raven l’avait traîné après avoir arrêté les injections de l’agent paralysant. C’est là que le sadisme de Raven s’était révélé sous son plus sombre jour. C’est là que Hope s’était époumoné jusqu’à perdre tout espoir – là qu’on lui avait enseigné que « dans un sous-sol, personne n’est sympathique » – là qu’il avait été dressé au maniement de sa souffrance – là qu’on l’avait obligé à se repentir de son péché de luxure.
Si seulement il avait su jusqu’où la prostitution le conduirait.
Brian revint se poster devant le piteux visage du latino qui, par sa posture affligeante, engendrait répulsion et désir, avant de s’accroupir, une lame de rasoir bien effilée brillant dans la main.
- Parfois, je me demande…
Hope se mordit la lèvre inférieure : il savait ce que son tortionnaire lui préparait sans même le voir manier sa prochaine arme.
- …si tu le fais exprès. Je veux dire : me mécontenter. T’arrive-t-il de penser à moi, de temps en temps ? Non. Jamais. C’est toujours toi, et uniquement toi, qui importes. C’est lassant, vois-tu ?
Brian l’attrapa par l’épaule et le retourna comme une crêpe, avant d’exposer la fine lame à ses yeux. Malgré l’éclairage de la pièce, plutôt faiblard, le délicat morceau de métal gardait tous ses attraits.
- Tu vois, oui ou merde ?
Brian fit pivoter la lame entre ses doigts, admirant l’air contrit que son détenu était loin de vouloir dissimuler. Puis il s’installa par-dessus l’abdomen de Hope et se mit à tracer des sillons rouge vif le long de ses pectoraux, appréciant les geignements lubriques qui semblaient en sortir. Effaçant le surplus de sang d’un coup de mouchoir, il calmait son mécontentement au fur à mesure que ses dessins prenaient forme, à l’instar d’un malade mental qui reprend contrôle sur lui-même en répétant une gestuelle systématique.
- Arrêtez… !
- Tiens ? Tu te décides à réagir, à présent ?
Hope essaya de se débattre, mais Raven le mit hors d’état de nuire en une fraction de seconde.
- Ah ! C’est étrange. Pendant un instant, j’ai cru retrouver mon petit Hoppie. Dommage qu’il se soit éclipsé aussi vite.
Brian se releva, envoya un coup de pied dans les côtes de Hope, et se retira auprès du miroir – le seul qui semblait vouloir le regarder, le seul qui s’intéressait à lui.
- Aujourd’hui, c’est Noël, Hope. Le savais-tu ? Non, bien sûr que non. Comment le saurais-tu ?… Et, bien que tu n’ais pas été très sage à mon goût, j’ai quand même décidé de te faire un petit cadeau. Quelque chose que tu apprécieras sûrement. Qu’en penses-tu, dis-moi ?
Hope remua dans sa flaque de sang séché.
- Je vois. Tu t’en fiches. Tant pis.
***
- Lève-toi.
Hope n’en avait pas la force, ni la volonté.
- J’ai dit : lève-toi ! Tout de suite !
Mais il n’avait pas non plus la force, et encore moins la volonté de résister à un ordre, ce qui rendait son comportement paradoxal : toujours apathique, jamais inactif. Il participait à son sort sans avoir à utiliser son libre-arbitre. Car on l’avait privé de sa liberté sans son consentement. C’était d’ailleurs l’un des motifs pour lesquels il allait finir par accepter d’être incarcéré pour toujours dans cette cellule : quand on n’a pas choisi d’être la victime, toute la responsabilité revient au bourreau. Si Hope devait subir ce calvaire tous les jours depuis on-ne-sait-plus combien de temps, c’était à cause de Raven. S’il ne pouvait plus discuter avec ces compagnons de trottoir, ni revoir les quelques membres de sa famille qui ne l’avaient pas renié, c’était encore à cause de Raven. Toute la faute revenait à Raven, son tortionnaire, celui qui lui avait arraché les quelques raisons de vivre qu’il lui restait avant de les remplacer par une seule autre raison : celle de vivre par défaut.
Vivre par défaut ? Quelle drôle d’expression.
Hope se leva et claudiqua vers le lit que Brian venait d’installer pour lui. Au passage, il reposa les yeux sur son reflet. Ce dernier lui renvoyait une réplique sereine de lui-même. Placide, flegmatique presque, il envisageait l’inconcevable éventualité que peut-être, un jour, il en serait réduit à approuver cette situation. Acquiescer à l’Inadmissible pouvait-il faire de lui le complice de son propre martyre ?… Enfin, il alla toiser Brian qui, agréablement allongé sur le matelas, lui faisait signe de s’installer à côté de lui, ce qu’il accepta de faire sans réfléchir.
- Alors ?… Qu’en penses-tu ? N’est-ce pas une merveilleuse idée ? Un lit douillet où tu pourras te reposer confortablement.
- Mouais…sûrement…
- C’est fou comme tu as l’air enthousiaste !
Brian se mit sur son séant. Hope évita son regard.
- Je vois. Tu préfères retourner dans ta boue sanguinolente, où je n’hésiterai pas jouer avec toi…
- Non, s’il vous pl…
- Ah ? Tu ne veux plus, finalement ? Intéressant. Tu as fini par comprendre que les bains de sang n’ont aucun effet sur le bien-être de ta peau. Tu es donc intelligent en fin de comptes ?
- …Apparemment…
Pour la première fois, Brian lui sourit.
- Bien. Maintenant que tu as "ouvert" ton cadeau, c’est à mon tour d’avoir le mien. Tu es d’accord ?
Hope haussa les épaules. Brian se pencha vers lui et releva une de ses mèches de cheveux visqueuses pour mieux le regarder.
- Il faut que tu dises que tu es d’accord, sinon ça ne marche pas.
Hope soupira, puis daigna diriger son regard vers lui.
- D’accord.
- Bien. Maintenant, embrasse-moi.
En d’autres circonstances, Hope aurait vraisemblablement opposé son refus catégorique à une demande aussi farfelue, à une requête aussi saugrenue, à un souhait si incongru et grotesque. Plutôt que de cela, il se contenta de secouer la tête.
- Tu as dit que tu étais d’accord. Tu ne peux pas revenir aussi facilement sur ta parole, tu sais…
C’est étrange comme il est facile de voler la personnalité d’autrui ; de détruire toute sa volonté ; d’atomiser sa conscience ; de pulvériser sa vie intérieure. Pas besoin d’être un génie ; un petit côté dominateur suffit. Brian Raven sentait que Hope allait bientôt lâcher prise. Petit à petit. Il le voyait déjà se livrer à lui ; dire adieux à ses dernières intentions, même celle de s’enfuir. Car, depuis le début, il l’avait privé de la possibilité de retrouver sa liberté. L’infime espoir qui avait peut-être subsisté, s’était volatilisé avec le temps et les coups. C’était en ceci que consistait tout son Art : non plus anéantir un être humain, non plus en faire sa chose, son animal de compagnie ; mais le pousser au-delà de ses propres limites de l’Inacceptable et le voir opter lui-même pour le pire, qui, dans sa nouvelle conception du monde, s’est transformé en moindre mal. Créer un être mi-humain, mi-animal, en quelque sorte. À la différence près qu’ici, la manœuvre pseudo-scientifique perd toute sa valeur intellectuelle pour ne conserver que le plaisir égoïste et pervers d’observer la déchéance du sujet : un gay qui se prostituait pour survivre finissait par s’enchaîner à ses propres malheurs.
- Alors ? tu es prêt maintenant ?
Hope s’obstinait à scruter le sol, où des petites gouttes de sang ressemblaient étrangement à des pétales.
- Si tu m’embrasses, tu auras droit à un bain. En-haut. Si tu vois ce que je veux dire.
- Vous n’me laisserez jamais partir.
- Non, en effet. Ravi de voir que tu as enfin compris ça.
Brian patienta.
- Très bien.
- De quoi ?
- D’accord. Je suis d’accord.
- C’est très sage de ta part, Hoppie.
- Juste une question d’abord. Raven, c’est vraiment vot’ nom ?
- Oui.
- Et vot’ prénom ? C’est quoi ?
- Brian.
Hope acquiesça par réflexe.
- Okay…
Il se pencha avec circonspection vers Brian.
Mues par une impulsion qui mêlait appréhension et besoin, leurs bouches se rencontrèrent pour la première fois. Le parfum de grande marque de l’un s’associa aux senteurs poisseuses de l’autre, comme si leurs effluves s’enfuyaient de leurs corps pour se réfugier avec fougue dans cette passion naissante. Leurs respirations s’accordèrent pour établir une harmonie exceptionnelle, presque inouïe. Formant une union qu’ils n’imaginaient pas possible, leurs corps s’immiscèrent l’un dans l’autre. Leurs lèvres, liées par une puissance prodigieuse, ne pouvaient plus concevoir la séparation. Elles souhaitaient rester attachées pour toujours, ne plus jamais être divisées. Ce contact, inédit dans sa volupté, se prolongea une éternité. Car rien ne pouvait interrompre cette rencontre. Rien n’aurait pu suspendre cette entrevue.
Quelques mètres plus loin, le miroir se demandait encore s’il avait affaire à un nouvel exemple du syndrome de Stockholm ou pas.
Voici, sans queue ni tête, mes poèmes préférés, compilés sans ordre, sans logique...accompagnés d'extraits de mes nouvelles... Juste comme ça, pour le plaisir de la lecture... Voici donc mes pensées saugrenues à l'usage des originaux compilées avec amour par Ludicrous Climax of the D.
lundi 27 octobre 2008
samedi 25 octobre 2008
Nietzschéenne jusqu'au bout des ongles
I
Quand je croise un clodo qui joue du violon dans la rue, savez-vous ce que je fais ? Je sors un billet de ma poche et le lui montre – avant de très poliment lui demander d’arrêter de jouer. L’expression ahurie sur son visage me fait sourire – ainsi que sa désolation en touchant le billet : le prix à payer pour me faire plaisir…
Suis-je sadique ? peut-être ! En tout cas, qu’il joue mal ou non, ça m’est égal. Le geste reste le même. Je m’en fiche si mon geste le poussera au suicide plus tard. Sur le moment, je trouve mon geste sublime – et c’est ça le plus important.
Mes amis disent que je n’ai pas de cœur ; c’est possible… En tout cas, ce n’est pas ça qui m’arrêtera. Pourquoi ? Mais voyons ! vous le savez aussi bien que moi : avoir un cœur n’aide pas à survivre dans ce monde impitoyable – bien au contraire ! C’est souvent notre propre sensibilité qui nous détruit en premier – avant même qu’on connaisse la méchanceté d’autrui. Alors faites comme moi ! Soyez cruel, soyez barbare ! Acceptez d’être impitoyable à votre tour et n’attendez pas que les autres le soient avant vous…de peur d’être éliminé de la carte.
***
Mes journées, je les cadence à coups de ‘phrases qui tuent’. Étant plus jeune, je critiquais la tenue de mes copines en disant :
‘Je n’enfilerais même pas ça à mon chien !’
Avec le temps, j’ai su me faire plus…innovante. Quand les passants rigolent de mon caniche, je leur lance :
‘Lui, au moins, il est allé chez le coiffeur dernièrement !’
Et leur air idiot me fait rire aux éclats. Mon concierge étant un obsédé sexuel avéré, j’aime à me promener en mini-jupe dans le couloir quand vient l’heure de faire sa ronde. Je me dis qu’avoir une érection tous les soirs alors qu’on est moche et célibataire doit être sacrément frustrant. Ma femme de ménage étant du genre un peu trop curieuse, je me plais à cacher des préservatifs usagés dans les recoins de mon appartement en laissant des petits mots tels que :
‘Sûrement quelque chose qui doit vous manquer…’
Que m’importe si les personnes que je rencontre finiront toutes dans le cabinet d’un psy ! Sur le moment, c’en est presque jouissif.
Oh ! mais attention ! N’allez pas croire que je suis une frustrée – future vieille fille acariâtre. Non, non, mes chers lecteurs. Ma vie sexuelle est au beau fixe. D’ailleurs, j’ai plus de prétendants que mon lit pourrait en supporter. À l’instar des playboys richissimes, je collectionne les conquêtes masculines comme mon père collectionnait les billets de banque et ma mère, les timbres. D’aucuns disent que je dois être lesbienne : explication moins que rationnelle à mon comportement imprévisible. Car, quand je dis que je les collectionne, ces hommes, je ne dis pas que je les garde.
En général, je les jète aussi facilement que des vieilles chaussettes – j’en change aussi simplement que de chemisier. Et puis, parfois me vient l’idée saugrenue de marquer le coup et de les détruire à vie. Le dernier en date eut l’immense joie de goûter à ma méchanceté gratuite en plein milieu d’un orgasme :
‘Surtout, préviens-moi quand tu auras fini d’asticoter ton vers !’
Il en resta scotché – comme une mouche prise au piège dans la colle luisante de mon insouciance. Après la perte de son érection, il se coucha – s’apprêtait à s’endormir quand je le poussai de mon pied gelé :
‘Eh ! tu ne vas quand même pas passé la nuit ici – j’en ai marre de tes ronflements. Allez ! tire-toi !’
‘Tu plaisantes, j’espère !’
‘J’ai l’air de plaisanter peut-être ?’
Et, grâce à mes ongles manucurés, je lui pinçai les fesses avec malveillance. Quelques minutes plus tard, il s’en allait avec ses affaires et mes griffures sur le derrière.
Je n’aime pas les hommes qui s’imposent – et peu m’importe qu’il fût bon au pieu.
***
J’entends déjà une objection : vous ne comprenez pas pourquoi je m’acharne à être si odieuse ? Pourquoi je rythme ma vie de traits d’esprit mesquins dans le seul but de vexer mes congénères ?… Mais pourquoi devrais-je être bienveillante envers tous ces êtres immondes qui prétendent appartenir à mon espèce ? Qu’ai-je à y gagner ? Une place au Paradis ? Eh bien, je la vends au plus offrant, cette place ! Quelqu’un est intéressé ?
II
Aujourd’hui j’ai réussi à me faire admettre au Purgatoire sans le faire exprès. Comme d’habitude, j’avais traversé la rue sans regarder. En général, la voiture finit toujours par s’arrêter en klaxonnant – et moi, je lance toujours un doigt d’honneur sans prendre la peine de jeter un œil au conducteur impatient.
Mais cette fois-ci, le conducteur en question avait obtenu son permis dans un paquet de corn-flakes. Ses réflexes étaient largement à revoir. Et je constate qu’il ne me rejoint pas : soit il s’est bien débrouillé pour survivre à l’accident, soit il a pris un aller simple dans le train express pour l’Enfer. La seconde proposition me plaît beaucoup et j’en rigole à gorge déployée…avant de me décider à faire le tour du propriétaire.
Le Purgatoire est d’un ennui atroce : il n’y a personne. Pas même un hologramme d’ange qui m’expliquerait combien de temps il me reste à passer ici, et pour quelles raisons. Juste des murs blancs matelassés – je me demande encore pourquoi ils ne m’ont pas enfilé la camisole de force (l’accessoire pourtant indispensable dans un lieu pareil). Une prison sans gardien à engueuler – une chambre d’hôpital sans infirmière à martyriser…
Il n’y aurait pas l’inscription Purgatoire au dessus de la porte fermée à double tour que je croirais être en Enfer. Langeweile macht frei. Ouais, sûrement. N’empêche, je devrais considérer cet endroit comme le lieu idéal pour oublier la stupidité des êtres humains – mais, bizarrement, ces derniers me manquent. C’était tellement agréable de m’acharner sur mes congénères…
Oh ! Oh ! mais non, attendez ! Je conçois tout de suite mon rôle dans ce jeu débile : on veut me rendre dingue. Oui, c’est ça ! En me coupant du monde, on désire me voir me vautrer dans mes propres contradictions – mais c’est sans compter sur ma perspicacité, hé ! hé ! On espère me voir perdre la tête…eh bien, non ! Je m’installe tranquillement par terre et j’attends.
Je constate que personne ne pense à m’apporter un peu de nourriture. Bon, à vrai dire, je n’ai pas très faim – l’un des privilèges d’être morte – ça tombe bien : je voulais faire un régime, de toute façon. J’examine mes ongles : l’un s’est cassé lors du magnifique saut périlleux que j’ai réussi juste avant de me fracasser au sol. Et bien sûr, on ne va pas m’apporter de lime non plus. Je soupire.
En même temps, me dis-je, je suis contente d’être morte dans un accident de la circulation. Depuis que j’avais vu Destination Finale 3, j’avais peur de mourir grillée dans un institut de beauté. Vous imaginez ça, vous ? Se faire carboniser dans une cabine à UV ? Quelle horreur !!
Une feuille apparaît au bas de l’unique porte. Tiens ? Un message – un erratum, peut-être. Celui-ci proclame :
Bienvenue au Purgatoire !
Nous avons été contraints de vous envoyer ici pour le moment. En effet, nous souffrons d’un léger manque de place au Paradis. Nous espérons que vous nous excuserez pour la gène occasionnée.
Veuillez agréer nos sentiments les plus distingués,
Saint Pierre et Compagnie.
Quelle connerie !
***
‘Et vous voici enfin parmi nous ! Nous sommes vraiment désolés pour l’attente – d’habitude nous arrivons à gérer…mais là, nous nous sommes retrouvés avec une recrudescence d’âmes – nous ne savions plus où donner de la tête !’
St Pierre me soûle déjà.
‘Vous comprenez, quand Jésus part en vacances, il nous laisse un peu tout sur les bras – c’est pas facile…’
Et je me rends compte que mes préjugés à propos du Paradis étaient fondés : il fait froid même si c’est surpeuplé ; la déco est à vomir – des nuages sur tous les murs, avec des chérubins qui gueulent en réclamant leur biberon ; et puis, tout le monde sourit avec bienveillance à mes sarcasmes. Il me prendrait l’idée de les gifler qu’ils tendraient l’autre joue, ces idiots ! Et l’archange Gabriel qui n’arrête pas de me coller aux talons aiguilles en chantonnant : « Tu t’es cassé un ongle ! Tu t’es cassé un ongle !… » comme si c’était une nouvelle extraordinaire ! – « Va annoncer tes évangiles ailleurs, connard ! » Même les séraphins, que je trouvais super class en arrivant, ne sont en réalité que des prétentieux qui se contentent de lire toute la journée en écoutant du Mozart dans leur i-Pod.
Alors, au bout de 37 heures, 22 minutes et 45 secondes de torture, je me rends dans les quartiers de Saint Pierre et je lui demande de m’envoyer en Enfer.
‘Oh ! mais, comprenez…ça ne fonctionne pas comme ça. Seul Dieu peut autoriser un départ ou une arrivée d’âme…’
‘Très bien ! Comment puis-je obtenir un rendez-vous avec ce crétin soi-disant omniprésent ?’
‘Eh bien, il faut d’abord remplir un formulaire en précisant toutes les informations importantes vous concernant : date et heure de votre mort et de votre admission au Paradis…enfin, vous savez, la procédure habituelle…ainsi que les raisons que vous poussent à nous quitter. Ensuite, vous devez remettre ce formulaire au Séraphin chargé des requêtes spéciales – en ce moment, ce doit être Elias ; ou peut-être Dimitri ? – qui le transmettra à votre Ange Gardien. Ce dernier l’examinera, puis vous convoquera pour un entretien personnel. Si celui-ci se passe bien, votre dossier sera transmis à Jésus (enfin…dès qu’il sera rentré de vacances), qui l’examinera à son tour, avant de l’envoyer à Dieu en personne, qui décidera de votre sort. Voilà !’
‘Dites-moi…’
‘Oui ?’
‘Cela vous plaît-il de me rendre complètement folle avec votre labyrinthe administratif des plus tordus ?!?’
St Pierre me regarde sans comprendre.
‘Montrez-moi la sortie tout de suite – ou je me charge personnellement de transformer cet endroit en véritable enfer !!’
Une bombe ! Il me faut une bombe. De la dynamite. De la poudre à canon. N’importe quoi ! Je dois faire sauter tout ça ! Tout doit exploser. Je vais tout brûler – tout cramer.
Puis, je suis saisie par une illumination : je ne suis pas au Paradis ! Non, non, bien sûr que non. Je suis dans une des nombreuses salles de torture de l’Enfer !! Je lève la tête et je crie à en perdre la voix :
‘Ah ! Ah ! vous avez essayé de m’avoir, bande d’imbéciles ? Mais ça ne marche pas deux fois ! La torture psychologique, j’en suis passée maître ; alors, sortez-moi de là – et plus vite que ça !!’
III
‘Ah ! Il était temps : j’avais commencé à attendre.’
Satan me salue et me félicite : la plupart des mortels ne passent pas la première étape, dit-il. Puis il m’explique que l’Enfer, le Paradis, le Purgatoire, la Réincarnation, etc. ne sont que ses propres inventions – des moyens plus que timbrés pour faire souffrir (lui, il appelle ça ‘tester’) les nouveaux arrivants. D’ailleurs, ajoute-t-il en faisant de grands signes avec les bras, on n’est pas en Enfer ici, mais dans l’Au-delà.
‘Quelle subtilité !… Bon, c’est pour quand le dîner ? Et où est-ce que je pourrais trouver une lime à ongles ?’
Pas de hiérarchie ; pas de démons ; pas de torturants ni de torturés ici. Juste la phrase « Fais ce qu’il te plaît quand tu en as envie » inscrite sur tous les murs. Car ici, tout est possible – des fantasmes sado-masochistes aux rêves de princesse enfermée dans un donjon, en passant par les banquets les plus succulents et les sauts en parachute, tout est à la portée de tout le monde. Pas de limite financière, physique ou temporelle. Il suffit de marquer « Je veux… » sur un bout de papier. Et bien entendu, personne qui en profite ! Je questionne donc un peu au hasard et devinez ce qu’on me répond :
‘Oh ! vous savez…au début, c’est marrant. Et puis, on se lasse très vite…’
‘…d’ailleurs, vous remarquerez que les nouveaux arrivants, on les reconnaît à leur impatience : ils essaient tout, tout de suite – mais ils ne comprennent pas qu’ils vont rester une éternité ici…’
‘Moi, j’ai épuisé les ressources de mon imagination il y a presque un siècle et demi…et vous ne pouvez pas savoir comme je m’ennuie !…’
‘Eh ben, moi, j’ai essayé de redevenir mortel – mais ma famille m’a renié…apparemment, ils se débrouillaient très bien avec mon héritage…’
‘Moi, j’ai trouvé la combine : je me fais copain-copain avec les nouveaux, et je les pousse à se triturer la cervelle pour me trouver de nouvelles activités – ça marche ! Le problème, c’est qu’ils ont tous un peu les mêmes idées…’
Navrant…
***
Mais l’idée de génie a déjà fait son apparition dans mon esprit malicieux. Je prends un papier et un stylo pour écrire :
Je veux prendre la place de Satan.
Je veux être adulée comme une star par tous les habitants de l’Au-delà pendant une éternité.
Je veux que tous ceux qui m’énervent, me désobéissent, me désolent ou me désapprouvent redeviennent mortels.
Je veux qu’il soit impossible à quiconque de me destituer ou de me blesser physiquement ou psychologiquement.
Enfin, je veux avoir à ma disposition tous les chef d’œuvres mondiaux – littéraires, picturaux, artistiques.
Après un long moment d’adaptation et plusieurs renvois d’âmes à la vie, je décide de constituer ma troupe d’élites : des gardes du corps surentraînés qui sauront faire régner l’ordre que je viens d’établir dans mon paradis – my hellish paradise, dirait Nabokov. En plus de quelques inconnus, je vois postuler :
Satan (il aime bien mon audace), Napoléon (toujours prêt pour la baston), Hitler (toujours aussi laid), Lincoln (il ne sait toujours pas comment il est arrivé là), Staline (il espère bien me remplacer), Mao Zedong (il est à deux doigts de se faire renvoyer à la vie), Gengis Khan (toujours aussi taré), Margaret Thatcher (je voulais au moins une femme) et, enfin, surprise de la soirée : Nietzsche qui, il faut l’avouer, n’est pas très compétent en ce qui concerne le maintien de l’ordre, mais qui se révèle être un excellent législateur.
Après deux siècles du Règne de la Sur-Femme (j’ai demandé à Nietzsche de légèrement revoir ses théories), on finit par s’habituer. En fin de comptes, je n’ai pas tant changé les règles.
Tout est toujours à la portée de tout le monde – hormis, bien sûr, la possibilité de me remplacer.
Quand je croise un clodo qui joue du violon dans la rue, savez-vous ce que je fais ? Je sors un billet de ma poche et le lui montre – avant de très poliment lui demander d’arrêter de jouer. L’expression ahurie sur son visage me fait sourire – ainsi que sa désolation en touchant le billet : le prix à payer pour me faire plaisir…
Suis-je sadique ? peut-être ! En tout cas, qu’il joue mal ou non, ça m’est égal. Le geste reste le même. Je m’en fiche si mon geste le poussera au suicide plus tard. Sur le moment, je trouve mon geste sublime – et c’est ça le plus important.
Mes amis disent que je n’ai pas de cœur ; c’est possible… En tout cas, ce n’est pas ça qui m’arrêtera. Pourquoi ? Mais voyons ! vous le savez aussi bien que moi : avoir un cœur n’aide pas à survivre dans ce monde impitoyable – bien au contraire ! C’est souvent notre propre sensibilité qui nous détruit en premier – avant même qu’on connaisse la méchanceté d’autrui. Alors faites comme moi ! Soyez cruel, soyez barbare ! Acceptez d’être impitoyable à votre tour et n’attendez pas que les autres le soient avant vous…de peur d’être éliminé de la carte.
***
Mes journées, je les cadence à coups de ‘phrases qui tuent’. Étant plus jeune, je critiquais la tenue de mes copines en disant :
‘Je n’enfilerais même pas ça à mon chien !’
Avec le temps, j’ai su me faire plus…innovante. Quand les passants rigolent de mon caniche, je leur lance :
‘Lui, au moins, il est allé chez le coiffeur dernièrement !’
Et leur air idiot me fait rire aux éclats. Mon concierge étant un obsédé sexuel avéré, j’aime à me promener en mini-jupe dans le couloir quand vient l’heure de faire sa ronde. Je me dis qu’avoir une érection tous les soirs alors qu’on est moche et célibataire doit être sacrément frustrant. Ma femme de ménage étant du genre un peu trop curieuse, je me plais à cacher des préservatifs usagés dans les recoins de mon appartement en laissant des petits mots tels que :
‘Sûrement quelque chose qui doit vous manquer…’
Que m’importe si les personnes que je rencontre finiront toutes dans le cabinet d’un psy ! Sur le moment, c’en est presque jouissif.
Oh ! mais attention ! N’allez pas croire que je suis une frustrée – future vieille fille acariâtre. Non, non, mes chers lecteurs. Ma vie sexuelle est au beau fixe. D’ailleurs, j’ai plus de prétendants que mon lit pourrait en supporter. À l’instar des playboys richissimes, je collectionne les conquêtes masculines comme mon père collectionnait les billets de banque et ma mère, les timbres. D’aucuns disent que je dois être lesbienne : explication moins que rationnelle à mon comportement imprévisible. Car, quand je dis que je les collectionne, ces hommes, je ne dis pas que je les garde.
En général, je les jète aussi facilement que des vieilles chaussettes – j’en change aussi simplement que de chemisier. Et puis, parfois me vient l’idée saugrenue de marquer le coup et de les détruire à vie. Le dernier en date eut l’immense joie de goûter à ma méchanceté gratuite en plein milieu d’un orgasme :
‘Surtout, préviens-moi quand tu auras fini d’asticoter ton vers !’
Il en resta scotché – comme une mouche prise au piège dans la colle luisante de mon insouciance. Après la perte de son érection, il se coucha – s’apprêtait à s’endormir quand je le poussai de mon pied gelé :
‘Eh ! tu ne vas quand même pas passé la nuit ici – j’en ai marre de tes ronflements. Allez ! tire-toi !’
‘Tu plaisantes, j’espère !’
‘J’ai l’air de plaisanter peut-être ?’
Et, grâce à mes ongles manucurés, je lui pinçai les fesses avec malveillance. Quelques minutes plus tard, il s’en allait avec ses affaires et mes griffures sur le derrière.
Je n’aime pas les hommes qui s’imposent – et peu m’importe qu’il fût bon au pieu.
***
J’entends déjà une objection : vous ne comprenez pas pourquoi je m’acharne à être si odieuse ? Pourquoi je rythme ma vie de traits d’esprit mesquins dans le seul but de vexer mes congénères ?… Mais pourquoi devrais-je être bienveillante envers tous ces êtres immondes qui prétendent appartenir à mon espèce ? Qu’ai-je à y gagner ? Une place au Paradis ? Eh bien, je la vends au plus offrant, cette place ! Quelqu’un est intéressé ?
II
Aujourd’hui j’ai réussi à me faire admettre au Purgatoire sans le faire exprès. Comme d’habitude, j’avais traversé la rue sans regarder. En général, la voiture finit toujours par s’arrêter en klaxonnant – et moi, je lance toujours un doigt d’honneur sans prendre la peine de jeter un œil au conducteur impatient.
Mais cette fois-ci, le conducteur en question avait obtenu son permis dans un paquet de corn-flakes. Ses réflexes étaient largement à revoir. Et je constate qu’il ne me rejoint pas : soit il s’est bien débrouillé pour survivre à l’accident, soit il a pris un aller simple dans le train express pour l’Enfer. La seconde proposition me plaît beaucoup et j’en rigole à gorge déployée…avant de me décider à faire le tour du propriétaire.
Le Purgatoire est d’un ennui atroce : il n’y a personne. Pas même un hologramme d’ange qui m’expliquerait combien de temps il me reste à passer ici, et pour quelles raisons. Juste des murs blancs matelassés – je me demande encore pourquoi ils ne m’ont pas enfilé la camisole de force (l’accessoire pourtant indispensable dans un lieu pareil). Une prison sans gardien à engueuler – une chambre d’hôpital sans infirmière à martyriser…
Il n’y aurait pas l’inscription Purgatoire au dessus de la porte fermée à double tour que je croirais être en Enfer. Langeweile macht frei. Ouais, sûrement. N’empêche, je devrais considérer cet endroit comme le lieu idéal pour oublier la stupidité des êtres humains – mais, bizarrement, ces derniers me manquent. C’était tellement agréable de m’acharner sur mes congénères…
Oh ! Oh ! mais non, attendez ! Je conçois tout de suite mon rôle dans ce jeu débile : on veut me rendre dingue. Oui, c’est ça ! En me coupant du monde, on désire me voir me vautrer dans mes propres contradictions – mais c’est sans compter sur ma perspicacité, hé ! hé ! On espère me voir perdre la tête…eh bien, non ! Je m’installe tranquillement par terre et j’attends.
Je constate que personne ne pense à m’apporter un peu de nourriture. Bon, à vrai dire, je n’ai pas très faim – l’un des privilèges d’être morte – ça tombe bien : je voulais faire un régime, de toute façon. J’examine mes ongles : l’un s’est cassé lors du magnifique saut périlleux que j’ai réussi juste avant de me fracasser au sol. Et bien sûr, on ne va pas m’apporter de lime non plus. Je soupire.
En même temps, me dis-je, je suis contente d’être morte dans un accident de la circulation. Depuis que j’avais vu Destination Finale 3, j’avais peur de mourir grillée dans un institut de beauté. Vous imaginez ça, vous ? Se faire carboniser dans une cabine à UV ? Quelle horreur !!
Une feuille apparaît au bas de l’unique porte. Tiens ? Un message – un erratum, peut-être. Celui-ci proclame :
Bienvenue au Purgatoire !
Nous avons été contraints de vous envoyer ici pour le moment. En effet, nous souffrons d’un léger manque de place au Paradis. Nous espérons que vous nous excuserez pour la gène occasionnée.
Veuillez agréer nos sentiments les plus distingués,
Saint Pierre et Compagnie.
Quelle connerie !
***
‘Et vous voici enfin parmi nous ! Nous sommes vraiment désolés pour l’attente – d’habitude nous arrivons à gérer…mais là, nous nous sommes retrouvés avec une recrudescence d’âmes – nous ne savions plus où donner de la tête !’
St Pierre me soûle déjà.
‘Vous comprenez, quand Jésus part en vacances, il nous laisse un peu tout sur les bras – c’est pas facile…’
Et je me rends compte que mes préjugés à propos du Paradis étaient fondés : il fait froid même si c’est surpeuplé ; la déco est à vomir – des nuages sur tous les murs, avec des chérubins qui gueulent en réclamant leur biberon ; et puis, tout le monde sourit avec bienveillance à mes sarcasmes. Il me prendrait l’idée de les gifler qu’ils tendraient l’autre joue, ces idiots ! Et l’archange Gabriel qui n’arrête pas de me coller aux talons aiguilles en chantonnant : « Tu t’es cassé un ongle ! Tu t’es cassé un ongle !… » comme si c’était une nouvelle extraordinaire ! – « Va annoncer tes évangiles ailleurs, connard ! » Même les séraphins, que je trouvais super class en arrivant, ne sont en réalité que des prétentieux qui se contentent de lire toute la journée en écoutant du Mozart dans leur i-Pod.
Alors, au bout de 37 heures, 22 minutes et 45 secondes de torture, je me rends dans les quartiers de Saint Pierre et je lui demande de m’envoyer en Enfer.
‘Oh ! mais, comprenez…ça ne fonctionne pas comme ça. Seul Dieu peut autoriser un départ ou une arrivée d’âme…’
‘Très bien ! Comment puis-je obtenir un rendez-vous avec ce crétin soi-disant omniprésent ?’
‘Eh bien, il faut d’abord remplir un formulaire en précisant toutes les informations importantes vous concernant : date et heure de votre mort et de votre admission au Paradis…enfin, vous savez, la procédure habituelle…ainsi que les raisons que vous poussent à nous quitter. Ensuite, vous devez remettre ce formulaire au Séraphin chargé des requêtes spéciales – en ce moment, ce doit être Elias ; ou peut-être Dimitri ? – qui le transmettra à votre Ange Gardien. Ce dernier l’examinera, puis vous convoquera pour un entretien personnel. Si celui-ci se passe bien, votre dossier sera transmis à Jésus (enfin…dès qu’il sera rentré de vacances), qui l’examinera à son tour, avant de l’envoyer à Dieu en personne, qui décidera de votre sort. Voilà !’
‘Dites-moi…’
‘Oui ?’
‘Cela vous plaît-il de me rendre complètement folle avec votre labyrinthe administratif des plus tordus ?!?’
St Pierre me regarde sans comprendre.
‘Montrez-moi la sortie tout de suite – ou je me charge personnellement de transformer cet endroit en véritable enfer !!’
Une bombe ! Il me faut une bombe. De la dynamite. De la poudre à canon. N’importe quoi ! Je dois faire sauter tout ça ! Tout doit exploser. Je vais tout brûler – tout cramer.
Puis, je suis saisie par une illumination : je ne suis pas au Paradis ! Non, non, bien sûr que non. Je suis dans une des nombreuses salles de torture de l’Enfer !! Je lève la tête et je crie à en perdre la voix :
‘Ah ! Ah ! vous avez essayé de m’avoir, bande d’imbéciles ? Mais ça ne marche pas deux fois ! La torture psychologique, j’en suis passée maître ; alors, sortez-moi de là – et plus vite que ça !!’
III
‘Ah ! Il était temps : j’avais commencé à attendre.’
Satan me salue et me félicite : la plupart des mortels ne passent pas la première étape, dit-il. Puis il m’explique que l’Enfer, le Paradis, le Purgatoire, la Réincarnation, etc. ne sont que ses propres inventions – des moyens plus que timbrés pour faire souffrir (lui, il appelle ça ‘tester’) les nouveaux arrivants. D’ailleurs, ajoute-t-il en faisant de grands signes avec les bras, on n’est pas en Enfer ici, mais dans l’Au-delà.
‘Quelle subtilité !… Bon, c’est pour quand le dîner ? Et où est-ce que je pourrais trouver une lime à ongles ?’
Pas de hiérarchie ; pas de démons ; pas de torturants ni de torturés ici. Juste la phrase « Fais ce qu’il te plaît quand tu en as envie » inscrite sur tous les murs. Car ici, tout est possible – des fantasmes sado-masochistes aux rêves de princesse enfermée dans un donjon, en passant par les banquets les plus succulents et les sauts en parachute, tout est à la portée de tout le monde. Pas de limite financière, physique ou temporelle. Il suffit de marquer « Je veux… » sur un bout de papier. Et bien entendu, personne qui en profite ! Je questionne donc un peu au hasard et devinez ce qu’on me répond :
‘Oh ! vous savez…au début, c’est marrant. Et puis, on se lasse très vite…’
‘…d’ailleurs, vous remarquerez que les nouveaux arrivants, on les reconnaît à leur impatience : ils essaient tout, tout de suite – mais ils ne comprennent pas qu’ils vont rester une éternité ici…’
‘Moi, j’ai épuisé les ressources de mon imagination il y a presque un siècle et demi…et vous ne pouvez pas savoir comme je m’ennuie !…’
‘Eh ben, moi, j’ai essayé de redevenir mortel – mais ma famille m’a renié…apparemment, ils se débrouillaient très bien avec mon héritage…’
‘Moi, j’ai trouvé la combine : je me fais copain-copain avec les nouveaux, et je les pousse à se triturer la cervelle pour me trouver de nouvelles activités – ça marche ! Le problème, c’est qu’ils ont tous un peu les mêmes idées…’
Navrant…
***
Mais l’idée de génie a déjà fait son apparition dans mon esprit malicieux. Je prends un papier et un stylo pour écrire :
Je veux prendre la place de Satan.
Je veux être adulée comme une star par tous les habitants de l’Au-delà pendant une éternité.
Je veux que tous ceux qui m’énervent, me désobéissent, me désolent ou me désapprouvent redeviennent mortels.
Je veux qu’il soit impossible à quiconque de me destituer ou de me blesser physiquement ou psychologiquement.
Enfin, je veux avoir à ma disposition tous les chef d’œuvres mondiaux – littéraires, picturaux, artistiques.
Après un long moment d’adaptation et plusieurs renvois d’âmes à la vie, je décide de constituer ma troupe d’élites : des gardes du corps surentraînés qui sauront faire régner l’ordre que je viens d’établir dans mon paradis – my hellish paradise, dirait Nabokov. En plus de quelques inconnus, je vois postuler :
Satan (il aime bien mon audace), Napoléon (toujours prêt pour la baston), Hitler (toujours aussi laid), Lincoln (il ne sait toujours pas comment il est arrivé là), Staline (il espère bien me remplacer), Mao Zedong (il est à deux doigts de se faire renvoyer à la vie), Gengis Khan (toujours aussi taré), Margaret Thatcher (je voulais au moins une femme) et, enfin, surprise de la soirée : Nietzsche qui, il faut l’avouer, n’est pas très compétent en ce qui concerne le maintien de l’ordre, mais qui se révèle être un excellent législateur.
Après deux siècles du Règne de la Sur-Femme (j’ai demandé à Nietzsche de légèrement revoir ses théories), on finit par s’habituer. En fin de comptes, je n’ai pas tant changé les règles.
Tout est toujours à la portée de tout le monde – hormis, bien sûr, la possibilité de me remplacer.
Irresponsible Moaning Anthem
Irresponsible Moaning Anthem
I’ve never thought that the thing to do was crying,
Even when you see everybody’s dying;
Even when you do not know what is lying
Ahead; just close your eyes for a little sighing.
I’ve never thought that you need fall into darkness
Even in order to be, for once, merciless.
Just forget your mother’s ugly sweetness;
Your wilderness; her sordid, livid softness.
I’ve never thought that you always need a seizure
To reach what people call “pleasure”.
Why don’t you just follow the order of nature
And ignore what might be brought in the future?
I’ve never thought that you would forever be mine
Because I’m not stupid: I can read between the lines.
If you’ve got a brain, you can follow the signs
And disappear from the earth, from what I call the Mine.
I’ve never thought that I would someday commit suicide.
It has always been out of my crazy mind
Since the very day I realized I could see behind
Myself when I was before a mirror – since the very first tide.
But stop it!
I hate your moaning.
Swallow it!
I love your crying
Your despair
Your fear
Your dismay
My…sear.
I’ve never thought that the thing to do was crying,
Even when you see everybody’s dying;
Even when you do not know what is lying
Ahead; just close your eyes for a little sighing.
I’ve never thought that you need fall into darkness
Even in order to be, for once, merciless.
Just forget your mother’s ugly sweetness;
Your wilderness; her sordid, livid softness.
I’ve never thought that you always need a seizure
To reach what people call “pleasure”.
Why don’t you just follow the order of nature
And ignore what might be brought in the future?
I’ve never thought that you would forever be mine
Because I’m not stupid: I can read between the lines.
If you’ve got a brain, you can follow the signs
And disappear from the earth, from what I call the Mine.
I’ve never thought that I would someday commit suicide.
It has always been out of my crazy mind
Since the very day I realized I could see behind
Myself when I was before a mirror – since the very first tide.
But stop it!
I hate your moaning.
Swallow it!
I love your crying
Your despair
Your fear
Your dismay
My…sear.
Nuit noire, Jour sombre
Nuit noire, Jour sombre
C’est par une nuit noire que j’ai pris le train
Pour partir, fuguer, m’évader – très loin, bien loin.
C’est par un jour aussi sombre qu’un vieux mondain
Que je me suis envolée vers les strass incertains…
Il faisait nuit noire quand, ma rage en mains, j’ai
Soufflé mes vingt bougies en souhaitant – en vain ! –
Que le monde s’adresse à moi comme un buffet ;
Prêt à être dévoré – ou bouffé, le vilain !
C’était un jour sombre et lugubre qui aurait
Bien mérité d’être éliminé de la carte –
Du menu, du plat du jour – il aurait bien fait
Ne pas se mêler de cette tragique farce.
Mais c’est sur un coup de tête que j’ai voulu
De mon domaine, de ma demeure qu’ils partent.
Aucune envie, aucun désir je n’ai plus :
Il faut qu’à mon tour je puisse devenir garce !
C’est la nuit noire qui m’enivre – même si
De ma courte vie je n’ai jamais rien bu.
Le jour sombre approche, voltige et de moi rit
Pour éclairer mon chemin perdu dans la rue.
Car s’enfuir n’a jamais servi à rien.
Préférez donc courir vers ce que certains
Appelleront sans savoir pourquoi « destin » ;
Précipiter sa vie fait le plus grand bien.
C’est par une nuit noire que j’ai pris le train
Pour partir, fuguer, m’évader – très loin, bien loin.
C’est par un jour aussi sombre qu’un vieux mondain
Que je me suis envolée vers les strass incertains…
Il faisait nuit noire quand, ma rage en mains, j’ai
Soufflé mes vingt bougies en souhaitant – en vain ! –
Que le monde s’adresse à moi comme un buffet ;
Prêt à être dévoré – ou bouffé, le vilain !
C’était un jour sombre et lugubre qui aurait
Bien mérité d’être éliminé de la carte –
Du menu, du plat du jour – il aurait bien fait
Ne pas se mêler de cette tragique farce.
Mais c’est sur un coup de tête que j’ai voulu
De mon domaine, de ma demeure qu’ils partent.
Aucune envie, aucun désir je n’ai plus :
Il faut qu’à mon tour je puisse devenir garce !
C’est la nuit noire qui m’enivre – même si
De ma courte vie je n’ai jamais rien bu.
Le jour sombre approche, voltige et de moi rit
Pour éclairer mon chemin perdu dans la rue.
Car s’enfuir n’a jamais servi à rien.
Préférez donc courir vers ce que certains
Appelleront sans savoir pourquoi « destin » ;
Précipiter sa vie fait le plus grand bien.
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