samedi 12 juin 2010

Lâche-moi! (complet)

Réponse aux commentaires plus bas.

Lâche-moi!

« Je vais vous poser une question maintenant : que pensez-vous du viol ?
- Objection, votre Honneur : nous sommes ici pour estimer si mon client doit être jugé comme un adulte. Ce n’est pas encore son procès…
- Mais c’est ce que je fais, Maître J***. Je questionne sa moralité, c’est tout. Alors, Monsieur M*** ? Pensez-vous qu’un viol soit un acte condamnable, ou… ?
- Une fille violée, c’est qu’elle l’a mérité, c’est tout ! »
Maître J*** secoue la tête, blasée.
« Je vois… Je donne donc raison à la défense : Monsieur R*** M*** sera jugé comme un adulte pour le viol de Mademoiselle Viviane K***, à huis clos. La séance est levée. »

***

« T’es vraiment qu’une petite traînée !
- Attends, Vivi ! Attends ! Je suis désolée !
- Ouais, c’est ça ! Tu t’es bien éclatée, ouais ! Lâche-moi !
- Je voulais pas, c’est lui qui m’a…il m’a dit que…
- M’en fous ! Lâche-moi !
- Tu vas où ?
- Je rentre chez moi !
- Mais tu vas pas rentrer toute seule !
- Si, prends le taxi, j’rentre à pieds.
- Non, Vivi ! C’est pas sûr par ici, Vivi !
- M’en fous ! »

***

« Mm, allô ?
- Papa ?
- Mm…oui ?
- Tu dors ?
- Je dormais, oui. Qu’est-ce qui se passe ?
- Je rentre à la maison plus tôt que prévu.
- Ah ?
- Ouais. Carol n’est qu’une salope ; tu croiras jamais ce qu’elle m’a fait ! Je les ai vu tous les deux, avec Cédric. Ils se bécotaient dans les toilettes, j’te jure ! Je les hais !
- Calme-toi ma chérie.
- Je les hais !
- Calme-toi. Tu es où ?
- Je sais pas. Près de la gare. La rue B***, je crois.
- Attends, tu es toute seule ?
- Ouais.
- Je viens te chercher.
- Non, ça va, j’peux rentrer à pieds, je suis à dix minutes à peine.
- Non, non. Je passe te prendre. Toi, tu regardes s’il y a un bar encore ouvert et tu m’attends là, d’accord ? Tu me textottes quand tu en trouves un ? Vivi ? Tu m’écoutes ?
- Ouais, ouais. Un bar.
- Oui, tu trouves un bar et tu m’attends à l’intérieur. Je viens tout de suite.
- OK. »

***

Il allume une clope. Il range le briquet au fond son jeans. Il remet la capuche de son sweat sur sa tête car il bruine un peu. Il colle son dos contre la vitrine d’un magasin à vendre. Il essaye de ne pas repenser aux petits cons qui lui ont cassé le nez la semaine dernière. Il gratte la cicatrice sur la bosse qui lui fait toujours mal. Connard de médecin. Il a fait un sale boulot juste parce qu’il n’aimait pas sa gueule. Tous pareils. Tous des cons.
Il tire sur son mégot. Il ne veut pas rentrer chez lui. Sa mère décuve sur son canapé. Il n’a pas envie de la voir comme ça. Il a envie de la frapper quand il la voit comme ça.
Il balance son mégot au sol. Il ne l’écrase pas pour l’éteindre.

***

Ses talons claquent sur le sol. Elle marche tout en pianotant sur son iPhone que Carol est une traînée, que si ça ne tenait qu’à elle, elle l’étranglerait de ses propres mains, et elle envoie le texto à sa meilleure amie. Puis elle fouille dans ses documents et tombe sur la photo de Carol à poil que Joe lui avait envoyée la semaine dernière. Elle hésite puis se dit que non, elle n’aura que ce qu’elle mérite ! Elle fait transférer à tous les mecs du lycée qu’elle a dans ses contacts. Elle sourit puis range le téléphone dans son sac à mains. Elle sort son paquet de cigarettes et crapote un peu. Elle ressent une rage indescriptible et repense aux bons moments avec Cédric. Elle se dit que si elle rentre en pleurant, Papa va lui faire un thé au miel pour la consoler. Son père est un homme adorable. Elle a besoin d’un garçon comme lui. Mais les garçons comme lui, ça n’existe pas.

***

Elle est trop bonne, celle-là. Voilà tout ce qu’il se dit quand il la voit marcher vers la rue C***. Des seins qui sautillent en dessous de la veste en cuir. Des cheveux qui s’envolent derrière elle. Des petites fesses bien moulées dans le jeans ultra moullant. Il lèche sa lèvre inférieure : il a trop envie d’elle.
Il hésite un peu mais décide quand même de la suivre. Il a remarqué qu’elle a son téléphone dans la main ; il y a un clodo de l’autre côté de la rue ; il la suit discrètement, trois mètres derrière elle. Elle se la pète avec son sac de marque, ses lunettes de marque, sa bague qui brille. Une bonne petite bourge qui se la pète, voilà tout ce qu’elle est à ses yeux.
Elle range son portable dans son sac et sort une clope. Elle tourne à droite, là où les petits cons lui ont cassé le nez. Il trottine derrière elle pour la rattraper. La ruelle est sombre ; le réverbère a été cassé à coup de pierres par les jeunes du quartier.
« Hey, hey, toi ! Tu sais que t’es bonne ? »
Elle se retourne, le regarde méchamment, puis continue de marcher devant, plus vite. Il lui court après.
« Hey, attends ! J’vais pas te faire de mal. Reviens ! »
Elle court devant. Il court plus vite et l’attrape par le bras. La veste est entrouverte et il voit le dessus de ses seins dépasser.
« Lâche-moi !
- Hey, calme-toi. Qu’est-ce qui te prend, là ? Tu délires ou quoi ?
- Lâche-moi ! dit-elle plus fort.
- Oh-oh ! Pas besoin de crier. Je vais rien te faire ! »
Elle secoue son bras et recule en même temps. Il serre son poignet plus fort. Elle utilise son sac pour lui frapper le visage avec. Il esquive le coup, s’énerve et sort son couteau de la poche avant de le placer juste en dessous de son cou. Elle recule mais il la plaque contre le mur. Elle crie mais il pose sa main fermement contre sa bouche. Il renifle son cou.
« Mais tu sens bon en plus ! »
Elle le pousse de ses deux mains. Il colle la lame de son couteau contre sa jugulaire. Il sait où c’est. Son frère le lui a dit en cas de besoin.
« T’arrêtes ça, OK ? Et ferme-la ! »
Elle gémit toujours sous sa main.
« Ferme-la, j’t’ai dit ! Ou je te refais la façade, c’est clair ? »
Il regarde ses joues aux pommettes saillantes, puis il baisse le regard vers sa poitrine.
« Mais t’es vraiment bonne en fait. »
Elle se met à chouiner, ses mains toujours à pousser ses épaules. Il serre sa mâchoire dans sa main, donne un coup sec pour cogner sa tête contre le mur. Elle gémit de douleur.
« Ah ! tu l’as cherché. Je t’ai dit de te taire ! Mets-toi à genoux ! Mets-toi à genoux, j’ai dit ! »

***

La lame lèche son cou d’une manière dégueulasse, ça la dégoûte, mais la peur lui paralyse la nuque. C’est comme si sa haine de tout à l’heure envers Carol s’était envolée – c’est comme si sa volonté s’était envolée. Il ne reste plus que la peur – la peur instinctive de la lame collée contre sa jugulaire, qui palpite contre le métal gelé. Ses genoux se mettent à trembler et c’est comme si le regard de son agresseur la dépossédait de son corps – un regard vitreux, un regard d’aliéné, insondable – un regard qu’elle supplie mais qui ne réagit pas.
Sa tête heurte violemment le mur et pendant un instant, elle a l’impression de s’évanouir. Il lui donne des coups de pied dans le tibia, lui enserre la mâchoire pour la forcer à se baisser. Elle voudrait le frapper de ses mains libres mais elle sent une goutte glisser le long de son cou et s’enfuir dans son décolleté – sa veine palpite encore plus vite contre la lame.

***

Il parvient à la mettre à genoux, puis attrape ses cheveux et la plaque contre le sol, à plat ventre. Assis sur ses reins, il garde sa tignasse dans une main tandis que de l’autre, il range son couteau dans sa poche et fourre ses doigts sous la veste, sous le T-shirt, sous le soutien-gorge, où il lui malaxe un sein, avidement. Le mamelon contracté sous sa paume lui donne une trique d’enfer, telle qu’il en oublie les cris de la poufiasse. De toute façon, il n’y a jamais personne dans cette ruelle alors elle peut crier : personne ne l’entendra.
Il retire sa main en vitesse pour s’accroupir et commence à lui arracher le pantalon puis le string, avant de déboutonner son jean et de saisir son pénis en érection, impatient. Il respire comme un chien ; il veut à tout prix sentir la chaleur humide du vagin avant de perdre son érection. La poufiasse l’énerve ; il lui tire la tignasse en arrière, la rappelle à l’ordre ; il s’allonge sur elle, fait descendre le pantalon avec son pied et lui ordonne d’écarter les jambes. Evidemment, elle n’écoute pas.
Il cogne sa tête contre le sol.
Elle gémit encore alors il la cogne une deuxième fois.
Elle se met à tousser. En souriant, il se sert de sa main droite pour lui écarter une cuisse. Il coince son genou en-dessous et saisit à nouveau sa queue. Du bout du gland, il sent les poils puis le clitoris et enfonce d’un coup. Ça lui fait du bien, mais il est tout de même déçu que ce soit aussi sec à l’intérieur. Il l’entend chouiner à nouveau ; il voit la main qui cherche à se défendre, alors il lui attrape le poignet et se colle contre elle avant de lui donner des coups de reins rapides.
« T’aimes ça, hein ? T’aimes ça, pouffiasse ! Dis-le que t’aimes ça ! »
Elle ne l’écoute même pas et ça le fout en rogne, ses pleurs, ses geignements pitoyables. Il sent son pénis se ramollir dans le vagin trop sec pour lui et il a soudain envie de l’entendre crier. Il lui tire les cheveux mais elle ne fait que gémir. Il a donc une idée géniale. Il en ricane même. Il se retire et saisit à nouveau sa queue pour se branler tout en lui susurrant dans l’oreille :
« On t’a déjà troué le cul ? Vas-y, dis-moi ! C’est ça que t’aimes : te faire trouer le cul ?
- S’il vous plaît… arrêtez…
- Ouais, c’est ça que t’aimes !
- J’vous en prie… »
La voir trembler de peur l’excite de plus en plus : il cherche le rectum du bout du gland, est forcé d’écarter ses fesses pour l’approcher, puis il donne un coup sec. Ça coince un peu alors il force ; à chaque coup, il parvient à aller plus profond ; mais il a envie d’aller jusqu’au bout. Il crache dans sa main, se retire et masse son pénis avec sa salive avant de l’enfoncer à nouveau dans l’anus.
« Prends ça ! »
C’est tout ce qu’il arrive à répéter à chaque coup de reins : il faut faire durer son excitation et il n’a trouvé que ces mots pendant qu’elle crie comme s’il l’étripait.
« Prends ça ! Tiens ! »
Il sent que ça monte ; il en devient fébrile. Il se redresse légèrement et tente de ralentir ses mouvements : faudrait pas gâcher le plaisir. Elle en profite pour le faire chier et tente de le pousser. Il la plaque à nouveau au sol, sort son couteau de sa poche arrière et pose la lame contre sa joue.
« Tu veux ça ? Je te refais la façade si tu veux ! C’est ça que tu veux ?
- Je vous en prie…
- Alors dis que t’aimes ça ! »
Il lui redonne des coups de reins effrénés.
« Dis-moi que t’aimes ça !
- Arrêtez… »
Il sent que ça vient. Il pose son couteau à côté de lui et lui enserre la nuque pour l’empêcher de bouger. Il se retire et cherche l’entrée du vagin avec frénésie. Elle en profite pour remuer les jambes, ce qui l’énerve : il est à deux doigts d’y arriver et elle veut tout gâcher. Il la frappe dans les côtes jusqu’à ce qu’elle se paralyse, puis il attrape sa queue et tente de la fourrer dans son vagin au plus vite. L’excitation monte d’un coup et il éjacule à moitié dehors avant d’arriver à enfoncer une partie de son gland à l’intérieur. Il attrape une des cuisses et la serre contre sa hanche pour se donner l’illusion d’être un peu plus au fond quand les dernières gouttes de son sperme parviennent à arroser le vagin qu’il trouve toujours trop sec à son goût.

***

Ventre contre terre, elle tente de se débattre mais avec le cuir chevelu tiré en arrière jusqu’à la limite d’être arraché et cette main poisseuse qui écrase son sein, elle n’y arrive pas. Elle aimerait crier mais c’est la salive qui lui manque – seuls des sons rauques lui viennent à la bouche, sons rauques qui ne semblent même pas atteindre le bout de la rue. Elle cherche à s’échapper lorsqu’il lui arrache son pantalon – de même lorsque c’est au tour du string – mais le corps de son agresseur l’écrase jusqu’à l’étouffer. Lorsqu’il lui frappe la tête contre le goudron, elle se sent à nouveau partir, comme si la mort arrivait à grands pas, avant de s’évanouir aussitôt, l’abandonnant à son appréhension effarée. Elle ne veut pas mourir, mais elle ne veut pas sentir sa peur se réaliser non plus – cette peur instinctive qui lui saisit les tripes, cette peur innée de la violence misogyne.
Lorsqu’il la pénètre d’un coup, c’est sa crainte devenue amère réalité – elle en a instantanément envie de vomir, mais la douleur est plus forte. Elle sent ses parois vaginales se crisper, crisser autour de l’intrus et elle essaye de le pousser de sa main droite, la gauche, coincée sous son buste, tentant à elle seule de lui laisser l’espace minimal nécessaire pour respirer. Mais la tentative est à nouveau vaine : il lui saisit le poignet et le cogne contre le goudron, tandis que la lame enfoncée en elle lui lacère les derniers restes de sa volonté, les remplaçant par un découragement résigné, opprimé, abattu, qui disparaît à peine lorsqu’il lui tire à nouveau les cheveux en arrière pour lui cracher d’autres mots qu’elle n’écoute plus à l’oreille.
Elle retrouve la force de le supplier. L’espace de quelques secondes, elle espère à nouveau le répit après ce qui lui semble une éternité de souffrances. Elle craint ses menaces, mais n’imagine pas qu’il puisse les réaliser. Elle voudrait que ce ne soit que du bluff et qu’il la laisse enfin tranquille, ces mots sadiques devenant de simples mots, inatteignables, sans importance, de simples mots pour attiser sa peur – pas sa peur elle-même. Mais les mots sont là. L’haleine fétide avec. Le pénis collé à sa fesse aussi. Ses membres tremblent d’eux-mêmes, et elle essaye de reprendre le contrôle, mais c’est peine perdue. Elle sent des doigts se faufiler entre ses fesses, alors elle les contracte. Elle sent qu’on force l’entrée mais rameute ses dernières défenses, qui cèdent les unes après les autres, comme la porte d’une cabane forcée à coups de bélier.
Et elle crie de douleur car la torture est plus ignoble encore que la précédente. Le poignard la lacère de l’intérieur par petites entailles ; l’entrée écartée par petits à-coups répétés, vicieusement stoppés en chemin, pour que le suivant aille à chaque fois un peu plus loin, pour que le suivant fasse toujours plus mal que le précédent. Elle croit son calvaire terminé et parvient à ramper en avant de quelques millimètres à peine quand le châtiment odieux recommence, plus exacerbé qu’avant, plus hideux encore, ponctué par l’acharnement atroce de ce pénis qui n’en a jamais assez, de cette odeur poisseuse venue de la voix qui vient pénétrer ses oreilles avec la même violence que la lame qui découpe ses entrailles.
Elle supplie une dernière fois avant de céder pour de bon lorsque qu’il lui frappe les côtes, ses muscles capitulant. La tête clouée au sol par l’étau serré autour de sa nuque, elle sent son vagin à nouveau se faire violenter, se faire recouvrir d’un poison venu brûler ses déchirures, ponctué par le grondement de l’homme allongé sur elle. Cet homme qu’elle hait. Cet homme qu’elle voudrait tuer. Cet homme qui vient de la détruire.

Réponse aux commentaires:

@ "Anonyme": Je réponds ici car je n'ai aucune idée de qui tu pourrais être. Au cas où on se connaîtrait, je te tuttoie à mon tour.
Ton commentaire était aussi revigorant qu'une douche froide. C'est un compliment car les commentaires négatifs, je les recherche.
Pour répondre vraiment maintenant, je dirais simplement que ce "oneshot" s'il te plaît de l'appeler ainsi avait un but tout autre que celui que tu as identifié, à savoir provoquer. Mes écrits provoquants sont généralement plus puérils. Celui-ci est avant tout cathartique à mes yeux - une façon de me débarrasser (momentanément) d'un thème qui m'obsède trop.
C'est donc vrai que les personnages manquent de "vie" (disons de vraisemblance, ou d'effet de réel dirait Barthes), et que l'ensemble sonne désincarné, comme si on racontait un fait divers en prenant le point de vue de la victime/de l'agresseur plutôt que d'un journaliste soi-disant objectif. La raison de ce choix: exprimer la froideur nécessaire qu'il faut adopter pour parvenir à "supporter" la description d'un viol. C'est donc l'opposé d'une provoc gratuite façon Virginie Despentes. C'est plutôt une recherche sur la forme: comment raconter un viol sans entrer dans le cadre pitié/horreur, en restant dans la viol-ence pure. Un style désincarné est une sorte de violence faite au lecteur: avec un narrateur qui manque à son rôle de guide (moral et/ou esthétique), on force le lecteur à se jeter entièrement dans la narration, à se forger son opinion propre sans passer par le filtre des "sentiments du narrateur" (qui ne sont pas vraiment des sentiments ni vraiment les siens, puisque le narrateur n'existe pas plus que les personnages).

Ce qui est intéressant, c'est que le désengagement du narrateur/auteur est forcément traduit par de la provocation. Refuser de s'accorder à l'opinion commune est plus provoc encore que de penser autre. C'est vraiment intéressant.

@ Ramm-stein: merci! :)